Echelle de Glasl

« En toutes choses, considérez la fin », dit le proverbe. Ainsi, pour prendre la décision d’entrer ou non en conflit, il faut réfléchir à la manière dont le conflit peut se terminer, sans négliger les risques d’escalade.

Nous pouvons nous inspirer de Friedrich Glasl, ce chercheur suisse connu pour ses travaux sur l’escalade des conflits où il met en évidence neuf phases de violence croissante, réparties en trois paradigmes.

Voici ma manière de synthétiser ses travaux :

  1. Paradigme gagnant-gagnant : les deux parties cherchent une issue positive pour les deux :
  • Tensions : les intérêts divergent, les tensions se durcissent, le conflit est latent ;
  • Dispute : le dialogue s’enferme avec des arguments favorables pour soi et défavorables pour l’autre,
  • Combat : les parties passent des paroles aux actes avec des coups ou des procédures contentieuses ;

Une amie m’a demandé pourquoi Glasl considérait que le combat pouvait être une stratégie gagnant-gagnant. Je l’ignore, mais j’ai considéré que les scènes de ménage sont finalement indispensables à la durabilité d’un couple. Une communauté qui dure, disait Mindell, n’est pas une communauté exempte de conflits, et donc de combats, mais une communauté qui sait les dépasser. En puisant dans mon expérience de couple qui dure depuis plus de 40 ans, je dirais que le combat est préférable à des propos ironiques car il met les deux opposants à égalité, du moins si le combat est loyal. Il en va de même lors des matchs de foot ou de rugby, où le combat fait un gagnant et un perdant, mais on peut dire qu’il fait aussi deux gagnants puisque les deux adversaires sont heureux d’avoir pu jouer un beau match.

2. Paradigme gagnant-perdant : les parties essayent d’imposer leur point de vue :

  • Coalitions : chaque partie cherche des alliés en présentant sa vision du conflit ;
  • Diffamation : l’adversaire et ses prétendues croyances sont diffamés devant l’opinion publique, le but étant de faire perdre la face à l’autre ;
  • Intimidation et menaces : chaque partie essaye de faire fuir l’autre en l’effrayant, par des propos exprimant l’intention de lui nuire concrètement ;

Point n’est besoin d’exemple pour illustrer ce type d’escalade des conflits, dont chacun a l’expérience, cependant, Glasl m’a surpris en évoquant les trois autres types d’escalade.

3. Paradigme perdant-perdant :

  • Destruction partielle : les menaces sont mises à exécution avec des actes de destruction partielle ;
  • Annihilation de l’autre : chaque partie cherche à détruire l’autre en se protégeant lui-même ;
  • Destruction totale : les parties veulent à tout prix détruire l’autre, quitte à se détruire elles-mêmes.

Je n’aurais pas imaginé que quelqu’un puisse accepter de perdre dans un combat, mais je réalise que c’est finalement assez courant. Récemment, j’ai eu la chance de faire une médiation transformative entre deux voisins, agriculteurs. L’homme avait un projet d’investissements en agriculture extensive avec tracteur et pesticides, tandis que sa voisine élevait des chèvres et pratiquait l’agriculture biologique. Assez vite, les médiants ont découvert que leurs projets étaient incompatibles et qu’ils n’avaient pas de solution à ce stade.  Tout d’un coup, la femme a joué la carte perdant en disant : si c’est comme cela, je vais partir. L’autre a dit d’accord. Je vis qu’elle était triste à l’idée de partir, et je le fis remarquer. Elle rebondit en expliquant qu’elle était encore plus touchée par l’acquiescement de son voisin que par la perspective du départ. Elle espérait en réalité que le voisin abandonne son projet si elle menaçait de partir, mais il n’en fut rien. Après cet échange, les deux partenaires ont décidé d’une seconde séance de médiation, en réfléchissant entre temps à des pistes de solutions.

Des travaux de Glasl, je retiens qu’il ne suffit pas de décider consciemment d’entrer en conflit en passant du niveau 1 au niveau 2 de son échelle de Glasl, mais qu’il faut aussi réfléchir sérieusement au risque d’escalade avant de franchir un niveau supérieur.


[1] https://en.wikipedia.org/wiki/Friedrich_Glasl%27s_model_of_conflict_escalation